dimanche 18 février 2007

IV. Ni L'ouïe Ninon



Serrements d’os et ossements d’épaule : un couple de squelettes enlacé vieux de près de 6.000 ans a été découvert le 6 février dernier en Italie du Nord dans une sépulture néolithique lors de travaux dans une zone industrielle. Ils seront exposés tels quels au musée archéologique de Mantoue, mais leur posture inhabituelle a grandement intrigué les scientifiques. Pour Elena Menotti, chargée des recherches, c'est "le témoignage d'un grand sentiment d'amour qui a traversé le temps. Car quelle que soit la raison pour laquelle ils ont été mis en terre dans les bras l'un de l'autre, c'est qu'il y avait un sentiment entre eux". Ce cliché de crânes embrassés m’a rappelé un de mes vieux dessins d’adolescente, le voici à côté.

Et à propos d’étreinte : deux personnes qui s’embrassent…a priori on peut supposer qu’elles s’entendent bien...

* * *

Ninon avait de Louis comme tout premier souvenir celui d’une longueur d’onde. Dans le métro, la jeune femme rêvassait. Louis, assis en face d’elle, tenait un gigantesque bouquet d'iris dont le plastique transparent crissait au gré des allées et venues des usagers qui se mouvaient, sortant, entrant, entrant, sortant. Ninon voyait le wagon se vider petit à petit, reflet désolant de sa propre vie de célibataire. Elle imaginait bien qu’à la Saint-Valentin, un homme qui rentrait le soir avec un bouquet était un homme attendu, choyé, aimé, et elle en avait ressenti un léger pincement au cœur. Mais ce jour-là, Louis avait décidé d’acheter des fleurs pour une femme qu’il ne connaissait pas encore. Pris d’un espoir fou de rencontrer par hasard celle à qui il voudrait les offrir, il avait erré tout le jour pour la chercher, en vain. Et puis il l’avait vue, et lui avait donné ses iris, qu’elle avait acceptés, chose qu’ils n’auraient jamais osé imaginer…ni Louis, Ninon.

Je crois que Ninon aimait Louis, mais quelque chose l’empêchait de lui dire « j’ois » ; en fait de lui exprimer sa joie de vive voix. Elle n’entendait rien à son propre mutisme amoureux. Jouir de Louis et donc de l’ouïe aurait été comme ouvrir une écoutille sur un sentiment sonore qui l’honorait, elle le savait…Mais, lors d’un cors à cors de concert ni les mots ni les cris ne passaient ses lèvres et, sexe aphone, elle percevait le murmure déçu de son amant, plus strident à ses oreilles qu’un luth intérieur frotté avec un archet de silex. Une corde sans cible se cassait et l’instrument de son désir exhalait un vague soupir de vieux tronc, bonheur qui se vide petit à petit de son son. Pourquoi ne pouvait-elle pas se faire à cette maxime, bien que platonique : «j’ouis, donc je jouis ?» Pourquoi au contraire se sentait-elle harpe au nez, sans pouvoir être autre chose que cette muse que le stupre élude ? Triste musique de chambre à air comprimé, et pourtant ! Ses seins faux niquent…

Au moindre élan qu’elle sentait monter elle, elle secouait ses cheveux pour cacher son visage rougi d’orgue-asthme et bafouillait audits tifs tandis que Louis la fouillait bas. D’une main grave il écartait le rideau capillaire mais très vite se raidissait en contrée basse au vu de ses larmes. Elle se disait, en son for intérieur « Ah ! donnez-moi des cymbales, donnez m’en des si belles ! » que n’aurait-elle donné pour qu’il l’esgourde moins gourde. Etait-elle donc condamnée à rater toutes ses auditions ? Elle aurait voulu l’assourdir d’un chœur d’or en « chut ! » libres aux confins d’un à corps majeur en « oui ! » mais pas enfouis ! Elle se lamentait : « ô pudeur, cette arme honnie ! Elle muselle ma musique…et quant à Louis, ses mimiques m’usent…Car d’un silencieux cil anxieux, Louis s’y lance malheureux ». Elle aurait voulu prononcer d’un ton ferme : «chavire moi, chéri !», mais l’idée même de prononcer ces mots inouïs, trop crus pour elle la crispait. Ninon n’y était pas pour Louis et ne répondait qu’à son propre non. Et puis un jour en pleine partie de viol de gambe en l'air elle se mit à chanter une sarabande, chose qu’ils n’auraient jamais osé imaginer…ni Louis, Ninon.

POST – SCROTUM : Voir sur ce thème l’excellent sketch Ouï-dire de Raymond Devos.

14 commentaires:

Anonyme a dit…

en effet, ce sont plus souvent des personnes qui s'entendent bien qui s'embrassent... sauf les Judas ;-)

étranges étranges ces squelettes...

Marraine a dit…

Tristes amants ;-)
Mais tout à changé ici? j'aime bien.

Anonyme a dit…

et on s'aimera encore, même quand l'amour sera mort…
ah ah quelle référence hein ?
et oui, même mort ils s'aiment encore, que de romantisme !

Chrixcel a dit…

SAV > et les esquimaux ! et les russes (entent cordiale oblige...)! Ah, les judas, faut s'en méfier mais comment les reconnaître ? Amor à mort...

D2RM > Oui je suis en plein ravalement (du blog seulent heureusement;-)

Z> Euh...Joe D'os sains je crois non ?

Anonyme a dit…

Je vois. Ici, le con sert de klaxon. Mais quand Louis fait pouet pouet, Ninon n'inonde pas son nid. :)

Il fait se méfier des motifs pour lesquels ils sont enterrés ensemble. On pense à Quasimodo rejoignant le corps d'Esméralda, mais il existe aussi ses femmes, en Inde, que l'on brûl(ai)ent avec la dépouille de leur époux...

Anonyme a dit…

Je lis ta prose à haute voix pour mieux la savourer. Le plaisir de l'ouie :)

Lunaba a dit…

elle a jou�e :)
un tr�s beau texte, quand le plaisir d�livre...

Lunaba a dit…

quant à ce cliché des ces amants, ne brisons pas leur étreinte et écoutons la môme qui les chantait....

Chrixcel a dit…

Frez> je te félicite pour ta verve ;-) et ton hypothèse est tout à fait pertinente...le romantisme italien penche vers l'amour, il y a sans doute une explication plus...pragmatique à la position de ces deux squelettes !
Diane > *merci* , moi aussi je relis toujours mes textes à voix haute pour constater de l'effet sonore...
Double Lunaba > la mome Piaf ? tu penses à Les "Amants d'un jour" ?

Anonyme a dit…

Toujours aussi sublimes tes textes !! A quand la nouvelle ou le roman ??
Quant à ces 2 squelettes italiens ils me font penser à Roméo et Juliette !! Surtout qu'ils vont être exposé a Mantoue, ville qui apparait dans la pièce si mes souvenirs sont bons !!!

Anonyme a dit…

Très très beau ton nouveau design de site...
pour les défunts, il faut faire attention à la datation, l'oss ment....

Anonyme a dit…

Et si c'était pas des amants romantiques ? Et si c'était l'épilogue de la "guerre des roses" ?

Anonyme a dit…

Et si c'était deux personnes qui ne s'aimaient pas? J'imagine des blagueurs du néolithique se poilant à l'idée de mettre en terre deux ennemis enlacés ;-)

Chrixcel a dit…

AnBZ>> merci ! tu as raison, je devrais m'y mettre, mais ça veut dire m'enfermer entre 4 murs et là en ce moment avec le temps qu'il fait...j'ai plutot envie de traîner dehors...Roméo et Juliette, bon parallélisme !
Cheubloh >> l'os ment, oui, mais pas le carbone 14 !
Naya : tempête sous un crâne...
Henri >> ton idée est os-ée, mais ça se tient !