Les vitrines du Printemps ont pris ces jours-ci les couleurs de l’hiver. Un véritable éventaire de neige, de rennes, de renards et de princesses s’étale sous nos yeux boulevard Haussmann : autant de mises en scènes prisonnières de leurs quelques mètres carrés couleur ivoire. La femme de résine résignée arbore un visage maussade derrière la transparence glacée d’une vitre un peu sale, souillée par des traces de doigts avides. Observez bien ces attitudes, et vous verrez ainsi quelques clichés, peut-être, de la femme dans l’imaginaire collectif de notre société consumériste. Les poses sont lascives, engageantes, et les silhouettes semblent figées dans une espèce d’attente-attentat à la pudeur du compte en banquise, dans un climat de convoitise où le porte-monnaie ne demande qu’à s’ouvrir en une fente impudique. Derrière leur paroi de verre, tout en poils et strass, ces pantins aux effets minés semblent fixer le passant lambda dans un déploiement de luxe et de volupté. Condamné à ne pouvoir lécher que la vitrine, la salive perlant aux commissures, il ne pourra sans doute jamais s’offrir ne serait-ce qu’une broche de leur toilette. Mais le passant ne voit pas les symboles.
Il y a une femme qui trône à sa table d’apparat, seule au milieu du cristal étincelant, et qui semble rêver du prince charmant sans trop y croire avec ses jambes croisées comme pour préserver sa virginité. Il y a une blonde odalisque allongée sur un lit de satin et de plumes : porte-t-elle les cornes de la femme trompée ? Il y a la reine des couettes qui semble murmurer : « Je suis là, libérez-moi de mes tresses », emprisonnée dans une toile savante en cheveux de polyester. Et puis la reine des chouettes, hautaine, toise les trottoirs, parfaite allégorie de la dame blanche : pureté factice. La pin-up sur fond de néon rouge nous nargue de sa pose aguicheuse : l’imagine-t-on faire un strip-tease de derrière les fagots de Noël ? Tombée de sa chaise argentée, assise sur le sol et les jambes écartées, la blonde en noir semble abandonnée au beau milieu des paillettes, tandis que la poupée rousse, le visage d’une tristesse infinie, déplore probablement que le fatras d’ampoules qui la surplombe ne l’éclaire pas sur sa condition de femme-objet. Jules Lévy a dit de la femme qu’elle est une « rose qui prend parfois deux "s" ». Je répondrai de l’homme : « Pistil un jour comprendre qu’il est à la fois la graine et les pétales de la femme, que tous ces états mine. »
Toutes ces poupées si bien apprêtées ont un point commun flagrant : elles ne sourient pas. Je me demande bien pourquoi la représentation de la beauté dans la mode actuelle passe forcément par une absence totale d’expression. Le mannequin mort-vivant et famélique (femme et loque ?) doit-il s’effacer, surtout ne pas montrer ses émotions, afin que ceux qui le regardent ne se focalisent que sur la tenue qu’il porte ? C’est plausible, mais triste. Triste vitrine d’un monde où l’humain tend de plus en plus à disparaitre sans la "part être".*