samedi 16 décembre 2006

II. Le goût de la rupture


Cher Gustave,


Après avoir goûté de ton être et avoir tenté de ne pas trop vite m'en repaître, je t'écris ces quelques lignes pour te dire que je souffre en ce moment d'une indigestion. Mon diététicien me conseille fortement de privilégier les légumes et de freiner sur la viande. J'essaierai cependant d'être un peu plus explicite sur mes préoccupations gustatives et pour cela, il me faut dresser le bilan alimentaire de nos pénuries inavouées. Moi, je suis la reine des idées âcres et du ton acide : frigide, j'en conviens. Toi, tu es le roi du grain de sucre charnel et du collé serré salé : un con sensuel.

A l'évidence nos assaisonnements diffèrent, ce qui ne joue pas en notre saveur lorsqu'on veut s'entendre : mon piment choque tes tanins câlins, et ma peau métallique grince au moindre de tes coups de langue. L'autre nuit, tes papilles ont salivé, j'étais dégoûtée : tes papillons sales y végétaient, dégouttaient... et quand tu donnes ta langue au chat - oserais-je l'avouer ? - je périclite au risque d'en perdre tout appétit et mon point G, Gustave, ne répond pas à ton initiale initiative. En vérité mes mamelons d'amidon, lorsque tes mains malhabiles en malaxent la mie, demeurent néanmoins mous. Oui, j’en ai soupé de tes sauces buccales, aussi ai-je essoré toutes tes salades : je n'ai pas voulu boire tes paroles insipides, pas plus que je n'ai pu relever ta fadeur d'égout. Cet aveu de désamour me laisse hélas un arôme indéfinissable dans la bouche. Tu trouveras mon ton bougon de bon goût, savoure-le bien : la dé-gustation, pour moi ça veut dire que je suis dé-gustée de toi. Crois bien qu'il m'en goûte de te dire tout cela, et que mes mots amers sont le fruit de mon humeur citron et de ma rage d'orange. J’avais stupidement imaginé que ton illustre prénom te prédisposait à l’art, mais ce que j’ai cru se révèle bien trop cuit, à présent que j’ai égoutté tes fadaises. Les agrumes de l'amertume sont un acide qui ronge : c'est la faute que j'ai eue en laissant trop se mêler nos deux langues, de m'être trompée… ah, beurk ! tu n’es pas un gus de goût !



Mosaïque des Gusta (-ve, -v, -f,) : Eiffel (ingénieur), Courbet (peintre) , Flaubert (écrivain), Mossa (peintre), Klimt (peintre), Moreau (peintre), Caillebotte (peintre), Mahler (compositeur) et Doré (graveur).

mardi 5 décembre 2006

EPITAPHE POUR HELOÏSE & ABELARD

Abélard, chanoine de Notre-Dame de Paris, était âgé de 37 ans quand il rencontra Héloïse, de 17 ans sa cadette. Il était déjà un théologien réputé et le chanoine Fulbert l'avait choisi comme précepteur pour sa nièce, elle-même particulièrement douée pour les études et l'écriture. Leur amour fut des plus tragiques : contraint par l'oncle d'Héloïse à épouser son amante après qu’elle fut tombée enceinte, Abélard fut ensuite émasculé par les sbires de l’oncle. Ils furent séparés et se retirèrent dans des monastères. Leurs dépouilles furent transférées au Père-Lachaise au 19ème siècle (cf. gravure d’un illustre inconnu - Londres, 1831 - et ma photo ci-dessus, prise en novembre 2002). Les deux amants, morts il y a de cela plus de 800 ans, se sont écrit de très longues et belles lettres d'amour qui font encore aujourd’hui l'objet de nombreuses controverses, le doute planant sur l'authenticité de ces missives. Sur l’invitation d’Eva Lunaba, j’ai composé une épitaphe imaginaire en hommage à cette passion hors du commun. Jouant sur l’homographie (mots qui s’écrivent pareil mais de sens différents) et l’homophonie, j’essaie dans la contrainte d’une dizaine de lignes suggérée par Eva d’y glisser quelques clins d’œil en rapport avec la vie du théologien et de son élève.


Abélard, ô rite aimé, vois comme émérite je m'abbesse à toi
Abaissées d'air, tes lettres éternelles soufflent au couvent de mes feux
Feux qui couvent avec l'ardeur stérile d'un bien triste pieux
Pieu où je gis dans un linceul de lettres de toi tombées là :
La tombe du Père-Lachaise qui nous unit à Paris est un grand livre,
Livre-moi tout entière, ouvre mes pages, bois-les et sois-en ivre
Avant que notre amour érodé à jamais au monde ne se ferme
Serre, cueille ma main gravée sur cette dalle de pierre ferme,
Tombe-moi à perpétuité, fais-moi la concession de ton flanc beau,
Et par-delà la mort dis à ceux qui passent près de notre flambeau
Comment nous fîmes front devant l'autel de nos corps mon cher,
Mon cher amant...il n'y eut rien d'autre qui vaille le détour que ta chair !