samedi 24 février 2007

Le code se crée ou la langue des oiseaux


La langue dite « des oiseaux » est la langue utilisée par les alchimistes. Faite de jeux de mots basés sur l’assonance et l’homophonie, c’est une langue evanescente et éthérée, parce qu’elle relève de l'« essence ciel ». Pourtant, ce code prétendu initiatique fait partie intégrante de notre vie, et ce depuis l’épisode de Babel et la confusion des langues : ainsi babble en anglais, ou babiller en français, ne sont autres que des préfigurations de notre camouflage labial universel (unis vers sel, où le sel serait l’esprit), où les mots peuvent en cacher d’autres...! Ainsi, dans littérature, n’y a-t-il pas lis tes ratures ?; dans argotique, art gothique ?, dans librairie , lis braie ris ? C’est donc un langage à la fois fractionnel et symbolique, dont quiconque peut faire l’expérience dans son quotidien. Cette pluralité du langage a d’ailleurs fait dire aux psychanalystes comme Freud ou Lacan qu’elle n’était ni plus ni moins qu’une expression de notre inconscient, ce qui pouvait notamment expliquer nos lapsus ou nos actes manqués.

Le langage ayant une forte connotation émotive, il peut également se présenter dans les rêves sous forme de message codé. Il m’est arrivé de raconter un jour à une amie que j’avais rêvé d’un chien qui « tirait sur sa laisse ». Je n’avais pas fait tout de suite le rapprochement cocasse qu’elle a alors décrypté pour moi : à l’époque je travaillais avec quelqu'un qui portait le patronyme de « Sallès ». En fait mon inconscient me suggérait de « tirer sur Sallès ! ». Etrange non ? En tout cas j’ignore si mon propre maniement du langage révèle une névrose obsessionnelle chez moi (sûrement !) mais qu’est-ce que je m’âme-use! Et pour le prouver, voici un poème en langage volatil et quelques photos prises le week-end dernier à Belleville (Place Fréhel)...où l'on s'aperçoit que la poésie a droit de cité ou droit de citation le temps d'un mur-mur...et que les mots n'ont pas fini de faire parler d'eux !

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COOL HEURES

Tu lavais à tes seins un dépôt afro magenta
Tu l'avais athée, saint des pots à fromage : un tas

De mots roses tatoués à son brie, doux points rougis
Deux moroses tas : tout est assombri d'où point roux gît

Tétins dissipant d'or en jets, mettant dans la tombola
Têtes, indices y pendent orangés, m'étendant là tombe, ola !

Décor noir, si race en blanc, des boutons violets pars
Des corps noircis, rassemblant des bouts : ton viol épars

Sans haine décrue, mais dis au creux : t'étais seule à savoir
Cent aines d'écru médiocre tétaient, se lassent à voir

Mes jaunisses et ces violets, ô laids ! qui tant portèrent
Mais j'honnissais ces vies olé olé qui t'emportèrent,

Grisant des chrysanthèmes, mandée vers des terres
Grises en des crises en thèmes en des verres d'éther

Caniveau et gale, de cette détresse c'est cool la vendetta, morbleu !
Qu'à niveau égal deux sets de tresses s'écoulent, la vendaient ta mort bleue...


dimanche 18 février 2007

IV. Ni L'ouïe Ninon



Serrements d’os et ossements d’épaule : un couple de squelettes enlacé vieux de près de 6.000 ans a été découvert le 6 février dernier en Italie du Nord dans une sépulture néolithique lors de travaux dans une zone industrielle. Ils seront exposés tels quels au musée archéologique de Mantoue, mais leur posture inhabituelle a grandement intrigué les scientifiques. Pour Elena Menotti, chargée des recherches, c'est "le témoignage d'un grand sentiment d'amour qui a traversé le temps. Car quelle que soit la raison pour laquelle ils ont été mis en terre dans les bras l'un de l'autre, c'est qu'il y avait un sentiment entre eux". Ce cliché de crânes embrassés m’a rappelé un de mes vieux dessins d’adolescente, le voici à côté.

Et à propos d’étreinte : deux personnes qui s’embrassent…a priori on peut supposer qu’elles s’entendent bien...

* * *

Ninon avait de Louis comme tout premier souvenir celui d’une longueur d’onde. Dans le métro, la jeune femme rêvassait. Louis, assis en face d’elle, tenait un gigantesque bouquet d'iris dont le plastique transparent crissait au gré des allées et venues des usagers qui se mouvaient, sortant, entrant, entrant, sortant. Ninon voyait le wagon se vider petit à petit, reflet désolant de sa propre vie de célibataire. Elle imaginait bien qu’à la Saint-Valentin, un homme qui rentrait le soir avec un bouquet était un homme attendu, choyé, aimé, et elle en avait ressenti un léger pincement au cœur. Mais ce jour-là, Louis avait décidé d’acheter des fleurs pour une femme qu’il ne connaissait pas encore. Pris d’un espoir fou de rencontrer par hasard celle à qui il voudrait les offrir, il avait erré tout le jour pour la chercher, en vain. Et puis il l’avait vue, et lui avait donné ses iris, qu’elle avait acceptés, chose qu’ils n’auraient jamais osé imaginer…ni Louis, Ninon.

Je crois que Ninon aimait Louis, mais quelque chose l’empêchait de lui dire « j’ois » ; en fait de lui exprimer sa joie de vive voix. Elle n’entendait rien à son propre mutisme amoureux. Jouir de Louis et donc de l’ouïe aurait été comme ouvrir une écoutille sur un sentiment sonore qui l’honorait, elle le savait…Mais, lors d’un cors à cors de concert ni les mots ni les cris ne passaient ses lèvres et, sexe aphone, elle percevait le murmure déçu de son amant, plus strident à ses oreilles qu’un luth intérieur frotté avec un archet de silex. Une corde sans cible se cassait et l’instrument de son désir exhalait un vague soupir de vieux tronc, bonheur qui se vide petit à petit de son son. Pourquoi ne pouvait-elle pas se faire à cette maxime, bien que platonique : «j’ouis, donc je jouis ?» Pourquoi au contraire se sentait-elle harpe au nez, sans pouvoir être autre chose que cette muse que le stupre élude ? Triste musique de chambre à air comprimé, et pourtant ! Ses seins faux niquent…

Au moindre élan qu’elle sentait monter elle, elle secouait ses cheveux pour cacher son visage rougi d’orgue-asthme et bafouillait audits tifs tandis que Louis la fouillait bas. D’une main grave il écartait le rideau capillaire mais très vite se raidissait en contrée basse au vu de ses larmes. Elle se disait, en son for intérieur « Ah ! donnez-moi des cymbales, donnez m’en des si belles ! » que n’aurait-elle donné pour qu’il l’esgourde moins gourde. Etait-elle donc condamnée à rater toutes ses auditions ? Elle aurait voulu l’assourdir d’un chœur d’or en « chut ! » libres aux confins d’un à corps majeur en « oui ! » mais pas enfouis ! Elle se lamentait : « ô pudeur, cette arme honnie ! Elle muselle ma musique…et quant à Louis, ses mimiques m’usent…Car d’un silencieux cil anxieux, Louis s’y lance malheureux ». Elle aurait voulu prononcer d’un ton ferme : «chavire moi, chéri !», mais l’idée même de prononcer ces mots inouïs, trop crus pour elle la crispait. Ninon n’y était pas pour Louis et ne répondait qu’à son propre non. Et puis un jour en pleine partie de viol de gambe en l'air elle se mit à chanter une sarabande, chose qu’ils n’auraient jamais osé imaginer…ni Louis, Ninon.

POST – SCROTUM : Voir sur ce thème l’excellent sketch Ouï-dire de Raymond Devos.

dimanche 11 février 2007

AUTOPORTRAIT EN STRINGS ROUGES


Magie astrale : mes yeux tracés de noir et de strass
Brillent vers toi pour t'éclairer comme une star.
Magistral, ton regard : un strict trac me prend...c'est ton mystère.

Mister mixeur : que le désir est cruel quand il nous broie de stress !

A quoi penses-tu ? mon thème astral, victime de ton art scénique
Prévoit ton stratagème cadastral au goût d’arsenic
Qui s’entasse en strates pour construire ma détresse

Monster moqueur, de tes zones sinistrées je suis la maîtresse !

Un mistral souffle sur mes rêves qui saignent en stries,
Mon astragale cassé s'affole et m'estropie,
Blessé de te courir après mon corps s’affaisse,

Master mateur : vois comme je souffre à ta demande expresse !

Tu m'as jetée dans un grand broyeur à papillons :
Désastre à la passoire ; des asters de passion
Fleurissent en étoiles sur mon sein que tu blâmes

Meneur menteur…mais je t’oublierai pour un nouvel astre, âme gramme !

dimanche 4 février 2007

LES ABSINTHES ONT TOUJOURS TORT...


C'est avec beaucoup de retard que je viens souhaiter à notre écrivaine préférée un joyeux anniversaire. Et qui dit anniversaire dit commémoration; qui dit commémoration dit : timbre ! Alors voici ma modeste contribution aux nombreux talents qui se sont fendus de leurs plus belles créations pour l'occasion. Il est rare que la Poste m'inspire autre chose que de l'énervement, mais là...je suis tombée sur ce coeur de Givenchy
et le mien n'a fait qu'un bond : je tenais ma dédicace ! Et en plus, la transition avec mon poème était facilité par la nature même de l'absinthe...qui rend timbré ! D'un coeur de coquelicot au delirium tremens de ce célèbre spiritueux...il n'y a qu'un verre, et je le lève à la santé de notre plus belle plante-fée : Lunaba !

Au diable vos vers !

  • Volée de doigts vers un éternel d’argile
  • D'une main légère j'écris ces vers d'éther
  • Pour te dire que je me sens comme eux, fragile
  • Et nue, tirant tous ces vers du néant, d'un verre
  • De fée verte : cette absinthe* elle vaut tes vers,
  • Et je m'y noie comme dans un vers doux
  • Thés verts je les bois au travers d'un verrou
  • Un vers où ? Tu ne me l'as jamais ouvert...
  • En enfer j’ai égaré mon soulier de vair
  • Trop tard pour toi ô mon maître aux vers
  • Ta verve ce n'était pas la vérité : ces versets
  • Sévères....C'est vers tes vers que je versais
  • Mes larmes de verre, pour toi les torrents de l'amer
  • Pour toi la rage, pour toi l'amour, pour toi la mer !
  • Tes vers m'ont bouffée, emportant mon hiver
  • Mon nid vert en sapin m'emporte aux cimes : t'y erres...

* en anglais, le mot « absinthe » se traduit par « wormwood » : autrement dit « bois à vers ». Nombre de poètes pour écrire leurs plus belles pièces on fait appel aux effets pervers de celle qu’on appelait aussi « la fée verte ». Et ils en ont bu des verres ! Le langage n’a pas fini de nous surprendre.