vendredi 12 janvier 2007

III – LA VUE
(Glasser & Levenson)



Le troisième dimanche de novembre, je me trouvais assise proche du crématorium qui surplombait la plus célèbre nécropole parisienne. La chaise était pers (vert tirant sur le bleu) et le panorama de croix ornées de tous récents chrysanthèmes ressemblait à mille levers de soleil. Examinant la scène d’un œil attentif, je cherchais le moindre signe ou symbole, la moindre saynète ou bizarrerie…j’observais sans relâche chaque recoin de ce grand jardin où les vivants viennent voir la vérité en face et où les morts leur présentent une dalle impavide, un dédale ou un pas vers le vide. Des filles éplorées s’agrippaient à des colonnes néogothiques et souffletaient de douces épitaphes en prenant leur plus belle pose, tandis que les poètes gravaient leur plus belle prose.

Car tout chantait, tout vibrait d’amour ici-bas ; en scrutant cette cité d’âmes on déstèle aisément : liaisons scandalleuses, amours tumulutueuses ou passions au tombeau qui tombent parfois de haut…Et pour assurer ces liens que la mort ne saurait enterrer complètement, je traquais les racines sarcophages, véritables passerelles entre les sépultures et qui, non contentes d’ingérer des pierres tombales tant elles avaient la dalle, jouaient de leurs langues de bois pour assurer la connexion intra-muros. C’était le téléphone à arbres. Si vous preniez le temps de vous arrêter un peu après avoir repéré un de ces tortueux entrelacs, vous sonniez à l’interfaune : des caprices d’écorces dessinaient sur les troncs des tronches atrocement ridées, distendues et desséchées par une sève absente depuis trop longtemps. Ces anamorphoses moroses me mettaient plutôt en joie ! Je voyais des marcheurs qui n’étaient pas moins rabougris et prenais un malin plaisir à faire d’amusantes comparaisons.

Dans l’allée transversale n° 2, 85ème division, deux tombes jumelles avaient attiré mon attention. Il n’est pourtant pas rare de constater que beaucoup de tombes se ressemblent, construites par le même tailleur, à quelques pas les unes des autres. Ainsi certains travaux de ferronnerie, certaines portes ornées d’urnes drapées sont facilement repérables. Mais ces deux-là, montées comme deux cabines téléphoniques et séparées par moins de deux mètres, étaient tellement pareilles que n’ai pu m’empêcher de les scruter, de les inspecter : à première vue rien ne pouvait supposer un lien quelconque entre elles.

La consonance des noms vaguement néerlandaise ou russe pouvait être un indice éventuel : Glasser et Levenson…si personne de l’une ou l’autre de ces deux familles n’était enterré dans le caveau voisin, elles avaient en commun des noms russes. Cela aurait pu être une explication logique à cet effet de miroir. En néerlandais Leven-son signifierait «vie - fils» et Glasser «verres». Là pour le coup le verre était plutôt opaque car la connivence n’était pas évidente. Mais pas de doute : la calligraphie des noms était quasiment la même ; les concessions dataient toutes deux de l’année 1894 et leur numéros étaient très rapprochés (238 et 288) ; les portes, les enjolivements, un trèfle étoilé sur le côté, la même signature («PJ»), les dimensions à l’identique…Le G en caractère gothique inscrit dans l’œil de bœuf faisait écho au double L formant un X, symbole du croisement, du point de contact, de la multiplication, de la luXure et de l’inconnu : que de coïncidences ! X, c’est aussi le Christ, fils de dieu (en anglais «Noël» s’abrège en Xmas). Et surtout, j’étais troublée par ce terme «admante» gravé en bas à droite de la porte, très lisible chez les Levenson, et à peine effacé chez les Glasser, comme pour rappeler la dureté de l’adamante ou la douceur d’une amante.

Quel secret avait pu être enfoui là, qui ressortait mystérieusement à la surface pour narguer les esprits retors ? Quel feu follet avait vu les funestes ébats de ces deux familles qui poussaient le vice jusqu’à laisser en testament ces sépulcres suspects ? Le glas des Glasser cachait-il la naissance d’un fils né sous X (« Leven-son »), chromosome masculin bâtard sur lequel on aurait mis une croix dessus, et qu’on aurait donc éliminé ? Le double L dissimulait-il une double vie ? L-L, 50-50 en chiffres romains, donc fifty-fifty : chacun avait sans doute sa part de responsabilité dans cette conception à perpétuité. Ah ! fantasme, quand tu nous tiens…quel délire de passer les amours mortes au rayon X, de surfer sur les deux L du mystère…Personne ne se serait donc aperçu de l’existence de cet hypothétique X iLLégitime après tout ce temps ? Voilà une bien belle et authentique énigme que je ne pourrai hélas jamais résoudre, n’étant pas détective et ne possédant pas le don de seconde vue (en fait je suis plutôt myope et astigmate) – donc, à moins de posséder des « glasser » taille XXL…vraiment, je ne vois pas.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est incroyable comme tu aimes gambader au travers des crématoriums et cimetières.... :D
ça te donne énormément d'imagination, à lire tes mots....
superbe...

Anonyme a dit…

Mais je veux savoir moi maintenant !!! Il faut lancer un appel !!! Il doit bien rester des descendants capables de nous révéler ce mystère !!!!

Anonyme a dit…

Moi qui pensait que les dernières lignes me donneraient le fin mot de l'histoire, me voila plutot sur ma faim !!

Anonyme a dit…

Et voilà qu'ainsi l'expression "s'en faire tout un film" peut se pavaner dans un de ses plus beaux rôles.
C'est pas tout ça mais moi aussi je veux connaitre la fin de l'histoire !

Delphine R2M a dit…

Oui, c'est vrai, il va falloir trouver la suite. Je vais chercher aussi de mon côté! On dirait un beau roman du 19e, ça me plait beaucoup.

Chrixcel a dit…

cheub > oui tu as raison il va falloir que je me calme un peu sur le sujet sinon on va me prendre pour un croque-mort :) mais j'y peux, rien moi, si le PL m'inspire !

Bleizdu, Diane,Naya : je crains que ce délire (bien que les éléments de l'affaire soient tout à fait véridiques !) ne trouve pas d'écho dans la réalité...les coincidences sont troublantes, mais cachent-elles vraiment un mystère ?

Delphine > si vous avez des tuyaux pour résoudre cette énigme, je suis preneuse !

Anonyme a dit…

:p
nan mais c pas possible hein !
j'ai eu beau demander à mon ami google, pas moyen de trouver le début d'un commencement d'indices !

m'en vais te résoudre ça avant la fin de la semaine moi !

Anonyme a dit…

J'ai déjà passé presque une heure sur ce truc. ça a encore rien donné. Pfffttt !

Chrixcel a dit…

Ben ça alors, j'aurais jamais cru que certains se tritureraient la cervelle avec autant de conviction :-)

Anonyme a dit…

haaaaaaa je trouve pas !!!
c'est horrible ce que tu nosu fais
:D