lundi 13 septembre 2010

Locus Solus
(2)

J’avais prévu de visiter Brighton le lendemain de notre expédition à Owling Manor, mais je ne pouvais rester sur ma faim. L’image du vieux piano au beau milieu de cette ferme vide me hantait. J’avais dit à Andrée combien ce serait génial de la filmer en train de chanter et de la photographier en Barbara Hendrix dans ce lieu décalé, et elle était d’accord avec moi : il fallait y retourner ! Levées à 6 heures, arrivées vers 9, nous avions toute la journée pour nous amuser dans la campagne anglaise.



C'est sous un soleil éclatant que nous sommes arrivées à Owling Manor. L'exploration a commencé par le jardin, où la nature a parsemé le terrain de multiples herbes folles et plantes de toutes sortes.



Ce petit bassin m'a frappée par la quasi régularité des 8 arbustes poussant autour. Ils donnent un semblant d'ordre dans ce fatras de verdure.



La façade en briques rouges de la maison est ornementée de trèfles sculptés.



Vue du toit.



La première vue que l'on a en entrant dans la maison est cet escalier où subsiste encore un tapis rouge et un puits de lumière de forme ovale.



Les vestiges d'une vie passée sont disséminés dans les pièces au gré du passage des visiteurs qui, comme nous, s'en donnent à coeur joie, déplaçant les objets au gré de leur envies. Ici, le tag "LIAR" est le seul de la maison. Il est d'autant plus étrange de le trouver ici, car son double-sens est bizarrement pertinent. En anglais "liar" signifie à la fois "menteur" et "allongé", et renvoie tour à tour vers le mensonge de la mise en scène et la dormeuse imaginaire qui a laissé ses escarpins au pied du lit...



Dans la chambre d'à-côté, le désordre ambiant se reflète dans le miroir d'une large armoire.



La cuisine n'a rien à envier au reste des pièces encombrées de nombreux objets d'un quotidien révolu, et dont la troublante présence semble nous impliquer dans une proximité, une intimité presque dérangeante tant elle est poussiéreuse et ébréchée.

Il ressort de mes recherches que le manoir appartenait à un couple franco-hispano-anglais. Le propriétaire, fils d’une duchesse espagnole, est né en 1913 en France. Il épouse une anglaise en 1957 à Londres.



Potier, il était également peintre. Sa femme cultivait diverses espèces d’orchidées au manoir. Quant à la maison, elle daterait de 1904.



Pour une raison ignorée, elle fut abandonnée par ses occupants avec tout son contenu (peintures, vaisselle, meubles, vêtements, etc…). Comme si un drame soudain ou une lubie avait forcé le couple à partir sans même faire ses valises...

La maison et son terrain sont actuellement en vente pour une somme de 3 millions de livres et selon des sources non confirmées, la propriétaire qui serait toujours vivante aurait 104 ans ! Le couple n’ayant pas eu d’enfants, le manoir revient à une nièce bien négligente.



Parmi tous les objets, livres, prospectus qui traînaient, j’ai trouvé une édition française de 1932 des Impressions d’Afrique de Raymond Roussel (1877-1933). Elle m’attendait je crois. De son temps Raymond Roussel était un écrivain décrié et incompris. Admiré des oulipiens et des surréalistes, il aimait particulièrement manier la «langue des oiseaux», autrement dit l’homophonie. Pour l'anecdote, il y a un double-sens dans son titre : les «Impressions d’à fric», furent publiées à compte d’auteur. Dans la perspective de vous livrer les miennes, j'ai emporté celles-ci avec moi comme souvenir.


Message d'accueil...

Il nous restait à Andrée et moi une dernière chose à faire avant de partir. Retourner à la ferme abandonnée.



Voici le vieux piano tel que nous l'avions trouvé la veille, vers 20 heures. A l'heure où nous y sommes retournées le lendemain, autour de 15 heures, il était plongé dans l'obscurité. Il nous a fallu une bonne demi-heure pour le déplacer de quelques mètres et ainsi gagner en luminosité. Le pauvre piano était tellement en miettes que nous avions peur qu'il ne se transforme en tas de poussière.



Mais nous étions suffisamment motivées pour marquer la note finale de cette aventure, sachant que nous ne reviendrions pas de sitôt dans cet endroit. Dans sa robe de velours, Andrée, en chantant là ses plus belles arias classiques, a redonné en quelque sorte une seconde vie au vieil instrument dont la voix s'était tue depuis bien longtemps. Dans cette campagne anglaise silencieuse, l'"Urbex Singer" avait encore fait une touche !

7 commentaires:

P@sc@l a dit…

Jolie suite de l'histoire !

Quel bol tu as... visiter un vieux manoir anglais en compagnie de Barbara Hendrix...

<;o))X

passantepensante. a dit…

j'ai lu le début dans les articles FB et j'adore la suite en trésor caché ,roman... c'est beau...tu as enchanté le lieu qui dort.
B.

FreZ a dit…

J'aurais bien aimé la faire, cette visite-là...
Veinarde !

Marie a dit…

un régal, j'aurais bien voulu y être aussi !

10fraction a dit…

j'aime bien voir ce que tu visites en vacances: cimetières et maisons en ruine, chez pas, le club med, ça te dit rien? Y'a des choses différentes en ruine là bas, elles se voient pas mais qu'est ce que c'est décrépi pourtant. Bon,je rigole, je t'ai suivi avec attention (en tout bien tout honneur hein?) quoiqu'il suffise de la préciser pour qu'on comprenne que c'est le contraire, mais bon....

Chrixcel a dit…

Pascal >> oui j'avoue c'est pas commun;)

Merci B, j'aimerais pouvoir en écrire plein mais il faut que l'endroit soit vraiment spécial et c'est pas tjs le cas !

Frez, Marie> quand on veut on peut et quand on cherche on trouve;)

10F> je dois sûrement passer pour une illuminée à courir comma ça les terrains délabrés, mais le club med c'est pas du tout ma tasse de thé^^

paris-émoi a dit…

Enfin le temps de passer sur ton blog ! les 2 histoires sont magnifiques ! Quelle découverte....